La loi européenne "Net-Zero Industry Act" : Qu'est-ce que cela signifie pour le captage et le stockage du carbone ?
La semaine dernière, la Commission européenne a publié une proposition de loi sur l'industrie à taux zéro (Net-Zero Industry Act - NZIA), qui fournit un cadre prometteur pour une stratégie basée sur des options afin de parvenir à la décarbonisation de l'industrie en Europe. Alors que les décideurs européens, au niveau de l'UE et des États membres, commencent à digérer et à délibérer sur la proposition, nous nous sommes plongés dans la proposition en nous concentrant particulièrement sur ce qu'elle contient pour le captage et le stockage du carbone.
Voici quatre mesures clés que la NZIA prévoit pour le déploiement du captage et du stockage du carbone en Europe :
1. Un objectif de stockage duCO2 pour l'UE
Parmi les trois étapes de la chaîne de valeur du captage, du transport et du stockage du carbone, le stockage est le principal goulet d'étranglement qui entrave actuellement le développement du captage et du stockage du carbone en Europe. Comme l'a établi le site CATF l'année dernière, l'Europe pourrait être confrontée à un déficit de 50 % de la capacité de stockage disponible pour les projets de captage en 2030.
L'article 17 de la NZIA fixe un objectif de stockage dans l'UE de 50 millions de tonnes deCO2 en capacité d'injection annuelle d'ici 2030. L'annonce de cet objectif est bienvenue et fait suite aux appels lancés l'année dernière parCATFen faveur d'objectifs d'étape clairs pour le déploiement du captage et du stockage du carbone, notamment dans le document d'orientation du forum CCUS de la Commission, co-rédigé par CATF, qui préconise une capacité de stockage annuelle totale de 80 Mt deCO2 par an d'ici à 2030 dans l'Espace économique européen.
L'objectif de capacité de stockage défini par la Commission constitue un signal important de reconnaissance du captage et du stockage du carbone en tant qu'outil essentiel pour décarboniser le secteur industriel européen. En outre, cet objectif constitue une étoile polaire importante pour le développement de la politique de l'UE en matière de captage et de stockage du carbone, y compris les diverses mesures prévues par la NZIA.
2. Coordination européenne sur le stockage du carbone
L'un des principaux obstacles au piégeage et au stockage du carbone en Europe est le manque de coordination entre les États membres.
La nécessité d'une coopération régionale en matière de captage et de stockage du carbone est évidente : certains États membres possèdent le potentiel nécessaire pour stocker leCO2, mais beaucoup d'autres ne l'ont pas et devront y avoir accès. Le développement de réseaux deCO2 par le biais d'infrastructures communes à accès libre est essentiel pour que les industries européennes puissent décarboniser leurs processus de production avec un faible coût supplémentaire pour les consommateurs. La proposition de la NZIA reconnaît donc qu'une approche transfrontalière et de marché unique est nécessaire pour garantir que le captage et le stockage du carbone puisse être une solution efficace pour les industries de tous les États membres.
Pour relever ce défi, la NZIA incite les États membres à prendre la tête des efforts pour atteindre l'objectif de capacité de stockage pour 2030. Diverses actions sont proposées aux États membres pour y parvenir :
- La proposition de la NZIA exige que les États membres publient les "zones où les sites de stockage deCO2 peuvent être autorisés sur leur territoire" (article 18). Il s'agit d'une mesure importante, car la création d'un atlas européen du stockage duCO2, cartographiant toutes les zones dont la géologie se prête au stockage duCO2, sera absolument cruciale pour permettre l'extension des sites de stockage duCO2, permettant ainsi aux émetteurs de décarboniser plus rapidement leurs industries.
- Dans les six mois suivant la mise en œuvre de la NZIA, les États membres devront fournir à la Commission une mise à jour sur l'état d'avancement des projets de captage et de stockagedu CO2, ainsi que sur les mesures prises pour soutenir leur développement (article 18).
L'amélioration de la coordination au niveau de l'UE sera essentielle pour accélérer le captage et le stockage du carbone dans l'UE en créant un marché unique pour les services de stockage duCO2 dans l'Union. Les mesures contenues dans la proposition de la NZIA constituent un grand pas en avant et seront renforcées par une stratégie de l'UE dans le courant de l'année.
3. Responsabilité claire du secteur pétrolier et gazier
L'un des signaux les plus importants de la proposition de la NZIA est peut-être l'attribution de responsabilités aux producteurs de pétrole et de gaz dans l'Union européenne, qui est abordée de deux manières principales. Tout d'abord, l'article 18 invite les États membres à "établir l'obligation pour les titulaires de licences de sites de production de pétrole et de gaz situés sur leur territoire de rendre publiques toutes les données géologiques relatives aux sites de production qui ont été déclassés ou dont le déclassement a été notifié à l'autorité compétente".
Deuxièmement, l'article 19 précise que les entités titulaires d'une licence de production de pétrole ou de gaz dans l'UE seront soumises à une contribution individuelle à l'objectif de stockage deCO2 à l'échelle de l'Union. Cette contribution sera répartie au prorata de "la part de chaque entité dans la production de pétrole brut et de gaz naturel de l'UE entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2023".
L'accent mis par la proposition de la NZIA sur le rôle du secteur pétrolier et gazier est particulièrement bienvenu. Ce secteur a depuis longtemps mis en avant le potentiel du piégeage et du stockage du carbone et il détient les clés pour débloquer le développement indispensable des sites de stockage deCO2 en Europe. Fort de ses bénéfices records à partir de 2022, le secteur dispose de l'expertise, des actifs et des ressources plus que suffisantes pour fournir une capacité de stockage deCO2 suffisante dans la région. Comme l'a souligné CATF l'année dernière, les exigences réglementaires imposées à l'industrie pétrolière et gazière pour entreprendre des démarches en vue du stockage duCO2, y compris l'exploration, l'acquisition et le partage de données et l'autorisation de sites, constituent un outil majeur que les décideurs politiques européens peuvent utiliser pour surmonter les obstacles au développement du stockage duCO2. Il est temps d'exercer une pression plus forte sur le secteur pétrolier et gazier pour qu'il prenne ses responsabilités et joue son rôle dans la réalisation des objectifs européens en matière d'émissions.
4. Accélérer le développement des sites de stockage deCO2
Pour atteindre l'objectif de 2030 fixé dans la proposition de la NZIA, il faudra accélérer le développement des sites de stockage deCO2. Plusieurs mesures sont proposées dans la proposition NZIA pour débloquer le goulot d'étranglement du stockage, la plus importante étant l'éligibilité des installations de stockage deCO2 à l'obtention du statut de projet stratégique net-zéro (PSNZ). Ainsi, les projets de stockage deCO2 pourront obtenir leur permis de stockage dans les 18 mois suivant la demande (article 13), à condition qu'ils soient situés dans l'UE et qu'ils visent à être opérationnels d'ici 2030 (article 10).
Le fait que les projets de stockage deCO2 puissent bénéficier de procédures d'autorisation accélérées dans l'UE est une évolution positive importante, que CATF a réclamée l'année dernière. Une procédure d'autorisation simplifiée pour les projets de stockage deCO2 dans l'UE représente également un avantage majeur pour la compétitivité des industries européennes par rapport aux États-Unis, où l'autorisation de stockage deCO2 reste un obstacle important au développement du captage et du stockage du carbone, malgré un cadre politique très favorable offert par le biais de l' incitation fiscale 45Q.
Si l'ambition de voir les projets de stockage deCO2 qui obtiennent le statut de PSNZ recevoir leur permis de stockage dans un délai de 18 mois est bienvenue, elle pourrait représenter un défi pour les États membres qui ont moins d'expérience en matière de développement de projets de captage et de stockage du carbone. Bien que les autorités compétentes de certains États membres, comme le Danemark et les Pays-Bas, aient la capacité administrative de réglementer le stockage duCO2 et d'autoriser des projets dans des délais accélérés, ce n'est pas le cas de beaucoup d'autres. La proposition de la NZIA prévoit des mesures pour soutenir les projets en les aidant à accéder au financement, en leur apportant un soutien administratif et en les aidant à être acceptés par le public (article 14). Pour que le développement du stockage duCO2 puisse s'accélérer au rythme voulu, il faudra que tout le monde mette la main à la pâte pour la mise en œuvre.
Quelle est la prochaine étape ?
Si la proposition de la NZIA constitue une avancée majeure pour la politique de l'UE en matière de captage et de stockage du carbone, elle n'est que le début d'un long processus législatif. Le succès du règlement dépendra également de la législation qui le soutiendra et de l'évolution parallèle d'autres politiques. Bien que l'intérêt des émetteurs pour le piégeage du carbone semble facilement suffisant pour remplir 50 Mt de stockage, comment pouvons-nous nous assurer que ces projets de piégeage avancent également dans les délais prévus ? La confiance dans la disponibilité du stockage devrait contribuer à stimuler l'investissement, mais les projets devront toujours faire l'objet d'une analyse de rentabilité couvrant l'ensemble de leur cycle de vie, soit grâce à des prix du carbone constamment élevés, soit grâce à d'autres politiques qui peuvent contribuer à couvrir tout déficit résiduel. Les instruments de l'UE tels que le Fonds pour l'innovation ne permettront pas à eux seuls d'assurer le déploiement nécessaire des projets, de sorte que des politiques complémentaires au niveau des États membres seront également nécessaires ; toutefois, il existe actuellement de grandes disparités en matière de financement national et de maturité réglementaire pour le captage et le stockage du carbone au sein de l'Union. Les États membres qui prévoient d'utiliser le captage et le stockage du carbone devraient envisager sérieusement de nouveaux mécanismes de financement susceptibles d'être financés, tels que l'approche fondée sur le "contrat pour la différence" adoptée aux Pays-Bas et au Danemark.
Des questions restent également en suspens en ce qui concerne le stockage duCO2. Les exploitants de sites de stockage prévoient actuellement de facturer aux émetteurs des frais de service : ces frais seront-ils réduits à mesure que les producteurs de pétrole et de gaz seront obligés d'absorber davantage de coûts de développement et de risques, ou verrons-nous une approche plus réglementée des tarifs émerger dans l'ensemble de l'UE ? Il reste également à voir comment les producteurs seront tenus de respecter leurs obligations et comment la "capacité d'injection annuelle" sera évaluée de manière cohérente et précise.
La réalisation de l'objectif déclaré de la NZIA, à savoir une approche transfrontalière du marché unique pour les services de stockage duCO2, nécessitera la mise en place de nombreux autres éléments, en plus de l'accélération de la capacité de stockage. Un régime cohérent de réglementation, d'autorisation et de planification pour les réseaux de transport deCO2 dans l'UE sera également nécessaire pour que l'infrastructure puisse commencer à être financée de manière adéquate et déployée à grande échelle, ainsi qu'un ensemble commun de normes techniques. L'avancement des projets d'intérêt commun de l'UE pour les réseaux transfrontaliers de transport et de stockagedu CO2 - qui ont reçu un nombre sans précédent de 18 demandes lors du dernier cycle - jouera un rôle important dans le développement de projets novateurs.
En relevant ces défis, nous pourrons libérer tout le potentiel de la NZIA et atteindre notre objectif de décarbonisation de l'industrie en Europe.
Néanmoins, le fait que la NZIA reconnaisse que le piégeage et le stockage du carbone sont essentiels à la décarbonisation de la base industrielle européenne devrait permettre à l'UE de se rapprocher de son objectif de neutralité climatique pour 2050.