
Un premier regard sur la stratégie de gestion des émissions de carbone dans l'industrie de l'UE
La Commission européenne a récemment lancé la stratégie de gestion du carbone industriel, qui reflète l'importance croissante accordée par l'Europe au captage, à l'élimination, à l'utilisation et au stockage du carbone. Cette initiative fait suite à l'appel lancé par les ONG européennes en faveur d'une stratégie européenne de captage et de stockage du carbone en 2022, et au rapport "A Vision for Carbon Capture, Utilisation, and Storage in the EU" (Une vision pour le captage, l'utilisation et le stockage du carbone dans l'UE), rédigé par CATF et la Florence School of Regulation, pour le forum annuel de la Commission sur lecaptage, l'utilisation et le stockage du carbone.
Cette stratégie, qui s'inscrit dans le cadre d'une semaine importante pour la politique de gestion du carbone de l'UE, s'aligne sur l'évaluation de la Commission pour l'objectif de 2040, selon laquelle l'augmentation rapide du captage, de l'élimination et du stockage du carbone est cruciale pour atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. La loi "Net Zero Industry Act" , récemment finalisée, va également dans ce sens en visant à renforcer les infrastructures de captage et de stockage du carbone d'ici à 2030.
Le captage et le stockage du carbone gagnent rapidement du terrain, avec plus de 100 projets proposés en Europe. Toutefois, cette croissance est inégale, la plupart des projets en cours de développement étant situés dans la région de la mer du Nord, en particulier les projets de stockage deCO2, que CATF a récemment commencé à suivre.

Sur la base des conclusions des groupes de travail du forum CCUS, la Commission identifie plusieurs défis qui entravent encore l'expansion de la gestion du carbone dans l'UE, notamment une analyse de rentabilité inadéquate, l'absence de cadres réglementaires, des risques complexes liés aux projets et la nécessité d'une planification à l'échelle régionale.
Voici comment la stratégie de gestion du carbone industriel entend relever ces défis :
1. Fixer un objectif de lutte contre le changement climatique
La stratégie présente un plan ambitieux pour développer le captage, l'utilisation et le stockage duCO2afin de s'aligner sur l'objectif climatique de l'UE pour 2040, en visant une capacité annuelle d'injection deCO2d'au moins 250 millions de tonnes par an dans l'Espace économique européen (EEE) d'ici à 2040. Cet objectif vient s'ajouter à celui fixé à l'échelle de l'UE dans laloi "Industrie zéro", qui vise à établir une capacité annuelle de stockage de 50 millions de tonnes deCO2 d'ici à 2030. Il est clair que la décennie qui s'étend jusqu'à 2040 devra voir une croissance remarquable de la capacité dans l'UE.

2. Accélérer le développement du stockage du carbone
Pour atteindre ces objectifs de capacité de stockage, il faudra redoubler d'efforts pour évaluer et développer le potentiel de stockage considérable de l'Europe. Comme le souligne le rapport de CATFintitulé " Unlocking Europe'sCO2 Storage Potential ", presque tous les pays européens disposent d'une géologie appropriée pour développer des sites de stockage deCO2 au niveau national. Toutefois, l'exploitation de ce potentiel et le développement de sites commerciaux nécessiteront beaucoup de temps, d'efforts et de ressources au cours des prochaines années.

Alors que les annonces de projets de stockage s'accélèrent, la concentration de l'activité en mer du Nord signifie que le développement de ressources de stockage dans d'autres régions, comme le souligne l'outil de calcul des coûts du captageetdu stockage du carbone de CATF, sera essentiel pour réduire les coûts du captage et du stockage du carbone et établir des conditions de concurrence équitables pour les industries décarbonées dans l'ensemble de l'UE.

La stratégie vise à remédier au déséquilibre actuel en élaborant des orientations sur les processus d'autorisation de stockage, en invitant les États membres à mettre en place des processus d'autorisation transparents d'ici à 2025 et à soutenir des "projets stratégiques à bilan net nul" pour le captage et le stockage du carbone.Elle prévoit également d'établir un nouvel atlas des investissements dans les sites potentiels de stockage duCO2, qui devrait permettre aux développeurs de projets et aux États membres de savoir comment répondre au mieux à leurs besoins en matière de stockage. Les États membres sont encouragés à fournir des données géologiques et, surtout, à en acquérir de nouvelles si nécessaire.
3. Mise en place d'un réseau européen de surveillance desémissions de CO2
Relier les sources deCO2 aux sites de stockage nécessitera de nouvelles liaisons de transport couvrant une grande partie de l'Europe. Une étude du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission indique que ce réseau pourrait couvrir jusqu'à 7 300 km en 2030 et 19 000 km en 2040. Si les pipelines constituent l'option la plus économique à long terme, leurs coûts d'investissement élevés et leurs longs délais de mise en œuvre font du transport maritime, ferroviaire et routier des alternatives viables à court terme.

La certitude réglementaire est cruciale pour le développement des infrastructures en raison des risques d'investissement : Les émetteurs et les développeurs de projets potentiels ont besoin de clarté sur des questions telles que les droits d'accès aux infrastructures, les questions de propriété et la fixation des tarifs. Pour répondre à ces questions, la Commission prévoit de préparer un paquet réglementaire potentiel sur le transport duCO2. Malgré le langage incertain de l'engagement, l'importance de la question devrait croître, en particulier pour la prochaine Commission.
La Commission prévoit également de proposer "un mécanisme de planification des infrastructures de transport deCO2 à l'échelle de l'UE" en coopération avec les États membres et la plateforme des parties prenantes du Forum CCUS. Ce mécanisme permettra d'assurer un déploiement qui exploite les économies d'échelle et anticipe les besoins futurs du réseau, en évitant les infrastructures fragmentées ou sous-dimensionnées.
Pour les développeurs de projets, l'un des principaux problèmes, en particulier dans la phase initiale de développement du marché européen du captage et du stockage du carbone, est d'obtenir suffisamment de transparence et de clarté sur la manière dont les autres projets de la chaîne de valeur progressent, sur leur localisation et sur la capacité qu'ils ont l'intention de capter, de transporter ou de stocker. Conformément aux recommandations deCATF, la Commission prévoit de développer une plateforme d'évaluation et d'agrégation de la demande de services de transport ou de stockage deCO2 avec les États membres d'ici 2026.

4. Débloquer les investissements dans le captage et le stockage du carbone
L'augmentation du captage et du stockage du carbone nécessite des investissements importants, l'objectif de la NZIA nécessitant une capacité de stockage estimée à 3 milliards d'euros d'ici à 2030, et l'analyse de réseau du CCR indiquant des coûts de réseau de transport de 12,2 milliards d'euros et de 16 milliards d'euros d'ici à 2030 et à 2040 respectivement. Le document "Vision" estime à 10 milliards d'euros le déficit de financement pour les projets de captage et de stockage annoncés au début de 2022.
La stratégie met en avant les financements européens existants pour la gestion du carbone, notamment le Fonds pour l'innovation et le mécanisme Connecting Europe, et encourage les mesures incitatives au niveau des États membres, telles que les contrats carbone pour la différence. Notamment, d'ici à la fin de 2024, la Commission prévoit de collaborer avec les États membres pour concevoir un éventuel projet important d'intérêt européen commun pour le transport et le stockage duCO2, qui pourrait aider à débloquer et à coordonner le financement des États membres pour cette infrastructure vitale. La Commission s'engagera également avec la Banque européenne d'investissement dans le financement du captage et du stockage du carbone, qui est déjà inclus dans le paquet de financement de 45 milliards d'euros de la Banque dans le cadre du plan industriel pour le Green Deal. En outre, la Commission prévoit d'évaluer d'ici 2025 la maturité de la technologie de captage duCO2 dans des secteurs clés tels que la production de ciment et de chaux. Cette évaluation contribuera à éclairer une transition potentielle de l'aide sous forme de subventions vers des mécanismes plus axés sur le marché, tels que les enchères concurrentielles dans le cadre du Fonds pour l'innovation ; le financement de ce type d'aide "sous forme d'enchères" devrait provenir des budgets nationaux.
5. Augmenter l'absorption du carbone par l'industrie
Il n'y a pas de voie vers la neutralité climatique et les émissions nettes négatives qui en découlent sans l'absorption du carbone. Les absorptions industrielles de carbone sont celles réalisées par des technologies telles que la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) et le captage et stockage direct du carbone dans l'air (DACCS). La stratégie reconnaît qu'elles jouent un rôle clé dans le soutien aux absorptions de carbone d'origine naturelle pour éliminer 400 millions de tonnes deCO2 par an d'ici à 2040. La part de cet objectif qui sera atteinte grâce à l'absorption du carbone par l'industrie n'est pas claire, car l'objectif n'est pas différencié.
La stratégie reconnaît les défis importants que posent l'extension et le déploiement de ces technologies en temps voulu pour atteindre les niveaux de déploiement nécessaires. Le cadre de certification de l'absorption du carbone (CRCF) de la Commission, qui se trouve actuellement dans la phase finale des négociations du Trilogue, devrait soutenir le déploiement en apportant une normalisation indispensable à la surveillance et à la déclaration de l'absorption du carbone dans l'UE. Dans la stratégie, la Commission présente des options politiques pour l'absorption industrielle du carbone, y compris des mécanismes de soutien et une intégration potentielle dans le système d'échange de quotas d'émission de l'UE - un sujet qui est au centre d'un projet de recherche collaboratif récemment lancé par CATF et Concito. En outre, la stratégie vise à stimuler la recherche, l'innovation et la démonstration précoce de nouvelles technologies d'élimination duCO2 dans le cadre d'Horizon Europe et du Fonds pour l'innovation.
La stratégie industrielle de gestion du carbone est un moment historique pour l'action climatique dans l'UE. Elle présente une vision pour le développement d'un écosystème de gestion du carbone qui permettrait de réduire les émissions de centaines de millions de tonnes et de réaliser des absorptions permanentes de carbone afin d'atteindre la neutralité climatique et des émissions "nettes négatives" après 2050. La stratégie indiquera clairement aux États membres que le captage et le stockage du carbone peuvent et doivent être un outil clé dans leurs plans de décarbonisation.
Le défi consiste maintenant à s'assurer que la vision de la stratégie peut être réalisée dans un laps de temps qui se réduit rapidement. Il appartiendra à la prochaine Commission de veiller à ce que ce plan d'action soit mis en œuvre dans son intégralité et dans les délais prévus, en fournissant un cadre qui devrait favoriser les investissements dans les infrastructures essentielles pour la gestion du carbone.