Potentiel de réduction du méthane dans le secteur des déchets en Côte d'Ivoire

Introduction
La Côte d'Ivoire, par le biais de sa contribution déterminée au niveau national (CDN) de 2022, a déclaré son intention de réduire de 13,2 millions de tonnes les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les secteurs de l'énergie, des déchets et de l'agriculture. Cela correspond à une réduction de 10,5 % des émissions nationales totales de GES en 2030 par rapport au scénario de référence. En plus de sa NDC, le pays est membre du Global Methane Pledge, qui vise à réduire les émissions anthropiques de méthane au niveau mondial d'ici 2030 d'au moins 30 % par rapport aux niveaux de 2020.
Le respect de ces engagements nécessitera des stratégies et des mesures spécifiques pour réduire les émissions de méthane provenant du secteur des déchets. Les données satellitaires récemment disponibles permettent de détecter et de quantifier les émissions de méthane provenant des décharges. Il convient donc d'accorder une attention particulière à la gestion adéquate de la fraction organique des déchets et aux meilleures pratiques en matière de mise en décharge.
Cette note politique caractérise les émissions de méthane du secteur des déchets et les opportunités politiques qui contribuent à une vision durable et avant-gardiste pour réduire les émissions et remplir les engagements de la Côte d'Ivoire.
Contexte
Les objectifs de la CDN 2022 de la Côte d'Ivoire identifient l'énergie, les déchets, l'agriculture et la sylviculture comme des secteurs prioritaires pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Dans le secteur des déchets, la Côte d'Ivoire vise à réduire les émissions de 13 %, de 6,10 à 5,32 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone, avec des actions principalement axées sur l'amélioration de la collecte des déchets et de l'assainissement urbain et sur la garantie d'une gestion et d'une valorisation durables des déchets.
Toutefois, cette note montre que le secteur des déchets est confronté à des défis majeurs qui pourraient entraver la réalisation en temps voulu des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'analyse et les recommandations de cette note sont basées sur des études de cas dans deux contextes urbains de référence : Abidjan et Bouaké. Les études référencées ont été menées dans le cadre du projet MELCI (Methane Emissions from Landfills in Côte d'Ivoire), dirigé par une équipe de chercheurs de l'Université Felix Houphouet Boigny et de l'Université Jean Lorougnon Guédé entre 2023 et 2024, qui a été commandité par le Clean Air Task Force (CATF).
Les enjeux
1. Émissions importantes de méthane provenant de la mise en décharge sanitaire
Le Centre d'enfouissement technique et de valorisation (CVET) de Kossihouen a commencé à fonctionner en 2018. Il est conçu pour traiter jusqu'à 1 250 000 tonnes de déchets par an, soit 90% des déchets générés dans le district d'Abidjan, avec une durée totale d'exploitation de 47 ans. Après leur arrivée dans les camions, les déchets sont pesés et enfouis dans des alvéoles imperméables en couches recouvertes d'un matériau inerte de 20 cm d'épaisseur. Le système a été conçu pour que le gaz de décharge soit récupéré, traité et brûlé à la torche, tout comme le lixiviat, qui est réutilisé pour irriguer les déchets et accélérer leur décomposition.
Malgré la récente mise en service du CVET de Kossihouen, les instruments satellitaires de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) des États-Unis ont détecté d'importantes émissions de méthane sur le site, soit environ 1,4 tonne de CH4 par heure. En outre, CATF a commandé trois observations par satellite à GHGSat, une société canadienne reconnue comme un leader mondial de la détection du méthane par satellite. Des émissions de méthane ont été détectées dans tous les cas, avec un taux moyen de 2,7 tonnes de CH₄ par heure. Ces émissions correspondent à 23 652 tonnes de CH4 par an, ce qui équivaut aux émissions de gaz à effet de serre de 157 618 véhicules de tourisme à essence conduits pendant un an.

La production de méthane dans les décharges est influencée par des facteurs tels que la composition des déchets, l'âge et la quantité des déchets déposés, la teneur en humidité et les conditions météorologiques. Parallèlement, les émissions de méthane sont déterminées par les pratiques opérationnelles, le type de couverture de décharge utilisé, l'efficacité des systèmes de captage des gaz de décharge, les méthodes de surveillance et de quantification et le niveau de surveillance réglementaire. Il est donc essentiel de comprendre et d'évaluer la nature dynamique des décharges et les mécanismes de production et d'émission en cours pour mettre en place des mesures de réduction du méthane robustes et efficaces.
2. Matières organiques non récupérées
La production de déchets par habitant en Côte d'Ivoire est d'environ 0,64 kg/personne/jour, ce qui est supérieur à la moyenne de 0,46 kg/personne/jour en Afrique subsaharienne. La figure 1 présente les résultats d'une étude de caractérisation des déchets menée dans les zones urbaines et rurales d'Abidjan et de Bouaké en 2024, dans le cadre du projet MELCI.
Composition des déchets dans les districts d'Abidjan et de Bouaké

Les déchets organiques, en particulier les aliments et les déchets verts, représentent plus de 60 % du total des déchets (69 % dans les zones urbaines et 56 % dans les zones rurales). Dans le même temps, les matières recyclables, telles que le plastique, le papier, le carton, le verre et les métaux, représentent environ 10 %. La collecte et l'élimination des déchets sont effectuées sous une forme mixte par des pré-collecteurs et des entreprises privées, sans aucune activité de récupération formelle. Toutefois, le secteur informel récupère les matières recyclables, telles que le plastique et les métaux, sur les sites d'élimination des déchets, bien que les détails de leur réseau de récupération soient rares.
Les déchets organiques contribuent de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre provenant des décharges à l'échelle mondiale. Les déchets alimentaires, en particulier, sont liés à plus de 50 % des émissions fugitives de méthane provenant des décharges de déchets solides municipaux. Une gestion inadéquate des déchets organiques a également un impact négatif sur la contamination de l'eau et du sol, l'apparition de mauvaises odeurs, les infestations et la perte de nutriments organiques précieux. Pour ces raisons, la minimisation des déchets est une condition essentielle pour réduire les émissions provenant des déchets organiques. Il est ensuite nécessaire de détourner les déchets organiques de la mise en décharge et d'opter plutôt pour des approches qui capturent leur valeur en tant que ressource.
3. Coordination et participation des parties prenantes
Les agences gouvernementales nationales et locales suivent une structure institutionnelle et politique bien définie, intégrant notamment les accords internationaux dont le pays est signataire. En outre, il manque une compréhension globale de la position des parties prenantes non gouvernementales et de leur participation aux processus décisionnels actuels. Par exemple, bien qu'il n'y ait pas de registres officiels, il a été rapporté qu'environ 3 000 ramasseurs de déchets et recycleurs travaillent à Abidjan (et dans la décharge d'Akouedo, aujourd'hui fermée) ; en même temps, il n'y a pas de cadre pour définir et soutenir le secteur informel. De même, seules des informations limitées sur le nombre et les domaines spécifiques d'intervention des organisations non gouvernementales (ONG) sont disponibles.
Les principaux acteurs de la gestion des déchets en Côte d'Ivoire

En ce qui concerne les niveaux de sensibilisation des producteurs de déchets, une enquête par questionnaire auprès de 1 080 ménages participants, entreprise par le projet MELCI, a mis en évidence le fait que les messages des médias contribuent de manière déterminante à la compréhension du lien entre la gestion des déchets et la santé publique. Ce questionnaire a également indiqué que les producteurs urbains ayant accès à une pré-collecte privée montraient peu d'intérêt pour les activités de séparation à la source, et que la principale préoccupation des producteurs de déchets ruraux se limitait à l'insuffisance de la couverture de la collecte des déchets.
Les expériences précédentes dans les économies à faible revenu ont démontré que le fait de négliger les différents groupes de parties prenantes réduit la durabilité du système de gestion des déchets. Parce qu'il n'existe pas de solution unique et que chaque zone cible présente des caractéristiques physiques, organisationnelles, financières, socioculturelles et socio-économiques différentes, les mesures sélectionnées pour une gestion efficace des déchets sont influencées et affectent les parties prenantes. Ainsi, dans le processus de prise de décision, il est nécessaire que le paysage des parties prenantes et leurs interactions soient compris et pris en considération.
Voies à suivre suggérées
Les efforts visant à réduire les émissions provenant du secteur des déchets nécessitent une approche intégrée et globale, avec la participation des principales parties prenantes. La présente note d'information formule trois recommandations clés.
1. Améliorer les opérations de gestion des gaz de décharge
L'intégration des systèmes d'utilisation de l'énergie peut réduire les émissions de méthane des décharges, comme celles du CVET de Kossihouen, qui comprend le captage et le brûlage des gaz. Le brûlage à la torche des gaz de décharge libère du dioxyde de carbone et peut entraîner des émissions de méthane en raison d'une combustion incomplète et de dysfonctionnements si la torche est éteinte. L'utilisation du gaz capturé permettra de compenser les émissions de dioxyde de carbone en remplaçant les combustibles fossiles. Pour ce faire, il est essentiel de travailler en étroite collaboration avec l'exploitant et de développer un projet d'utilisation de l'énergie tout en établissant un marché pour l'énergie produite.
Il est essentiel de comprendre et de transmettre les risques financiers et environnementaux associés à toutes les parties pour développer des projets de récupération des gaz de décharge. Il est intéressant de clarifier le taux de production et la disponibilité du gaz de décharge, la technologie de collecte et de récupération, et la ou les sources potentielles de revenus. Les considérations relatives à la récupération des gaz de décharge doivent être en harmonie avec la stratégie de la ville en matière de collecte des déchets et les systèmes de récupération potentiels, y compris les programmes de détournement des déchets organiques.
En outre, des données approfondies et actualisées sur les émissions sont nécessaires pour élucider les points chauds opérationnels et évaluer les effets des stratégies de réduction. Une approche pratique pour répondre à cette exigence combine les enquêtes directes au sol et la technologie de télédétection par satellite, qui peut détecter, valider et quantifier les émissions de méthane et soutenir la surveillance des décharges.
2. Exploiter les possibilités offertes par les déchets organiques
Le détournement des déchets organiques des décharges et la sélection de technologies appropriées de gestion des déchets organiques sont les meilleurs moyens de réduire à long terme les émissions de méthane du secteur des déchets et d'économiser l'espace limité des décharges pour les déchets non recyclables. La mise en œuvre d'un programme de détournement des déchets organiques devrait également être liée à la sélection de systèmes de collecte des déchets réalisables (par exemple, avec ou sans tri à la source) et d'activités de recyclage avec des objectifs durables et progressifs à court et à long terme.
Plusieurs aspects doivent être pris en compte lors de la sélection d'une technologie de gestion, principalement pour assurer la durabilité à long terme, une grande fiabilité technique, l'acceptation sociale, la protection de l'environnement, l'hygiène, la protection de la santé de la communauté et la durabilité économique. Par exemple, le compostage et la digestion anaérobie sont des traitements biologiques couramment adoptés pour les déchets organiques et largement reconnus comme adaptés aux contextes à faibles revenus. Le tableau 1 présente une vue d'ensemble des valeurs indicatives couvrant les aspects économiques, opérationnels et environnementaux pour la mise en œuvre des installations. D'autres technologies de traitement, telles que le traitement de la mouche soldat noire, sont de plus en plus courantes et fournissent des sous-produits tels que les larves de mouches qui peuvent être utilisées comme protéines dans l'alimentation des animaux de compagnie et des animaux.
Tableau 1 : Émissions et coûts potentiels du compostage et de la digestion anaérobie
Processus de traitement | LES ÉMISSIONS DE (t éq. CO2/tonne) (t CO2 eq/tonne) | Investissement initial (EUR/tonne) | Coûts d'exploitation (EUR/tonne) | Rente ( coût du capital )* | Recettes (EUR/tonne) |
---|---|---|---|---|---|
Compostage | 0.51 | 56.07 | 88.66 | 9.12 | 80.00 |
Digestion anaérobie | 0.34 | 98.63 | 99.30 | 16.05 | 88.05 |
*L'annuité (remboursement annuel de l'investissement initial) a été calculée sur 10 ans à un taux d'intérêt de 10 %. La faisabilité économique a été définie comme un retour sur investissement > 5 %.
En outre, une réglementation solide, des incitations financières, la préparation des infrastructures et la création d'un marché des produits organiques transformés sont des facteurs de réussite essentiels que les décideurs doivent soigneusement prendre en compte.
3. Favoriser l'engagement et la collaboration des parties prenantes
Un élément essentiel de la conception et de la mise en œuvre des mesures de gestion des déchets est l'implication et l'adhésion de toutes les parties prenantes (par exemple, les producteurs, les consommateurs, les prestataires de services, le secteur informel et la société civile), y compris une représentation authentique de la communauté.
En guise d'approche initiale, les responsables politiques et les décideurs peuvent s'appuyer sur la cartographie des parties prenantes pour dresser la liste des parties prenantes et de leurs relations avec le processus de gestion des déchets. Lors de l'élaboration de mesures spécifiques de réduction des émissions, l'analyse des parties prenantes permettra de clarifier le degré d'impact sur chaque partie prenante, le niveau d'intérêt attaché à leurs besoins, le niveau d'influence pour soutenir/proposer, et une compréhension du rôle potentiel et des ressources qu'ils peuvent apporter à la table. Pour cette tâche, les institutions gouvernementales peuvent collaborer avec les universités, compte tenu de leur potentiel connu de courtiers en connaissances objectives, de connecteurs avec d'autres parties prenantes et de promoteurs d'activités fondées sur la science.
Enfin, en ce qui concerne la sensibilisation du public, des ressources doivent être mobilisées pour des campagnes de sensibilisation à l'environnement, des programmes de vulgarisation et d'implication des communautés, en éduquant sur des questions telles que la réduction, la séparation et la valorisation des déchets et en capitalisant sur l'influence reconnue que les médias ont actuellement.
Sources consultées
"Plateforme africaine des villes propres (ACCP) - Côte d'Ivoire : Abidjan, 2018. https://www.jica.go.jp/english/information/publication/j-world/1810_05.html.African Plateforme des villes propres (ACCP).
Ayandele, Ebun, Daniel Cusworth, Riley Duren, Bryan Fisher, Kenzie Huffman, Matt Jungclaus, Eugene Tseng, et al. "Key Strategies for Mitigating Methane Emissions from Municipal Solid Waste". RMI, juillet 2022. https://rmi. org/insight/mitigating-methane-emissions-from-municipal-solid-waste/.
Galgani, Pietro, Ester Van Der Voet, et Gijsbert Korevaar. "Compostage, digestion anaérobie et production de biochar au Ghana. Environmental-Economic Assessment in the Context of Voluntary Carbon Markets". Waste Management 34, n° 12 (décembre 2014) : 2454-65. https://doi.org/10.1016/j.wasman.2014.07.027.
Holland, Jeremy. Outils pour l'analyse institutionnelle, politique et sociale de la réforme politique : A Sourcebook for Development Practitioners. Banque mondiale, 2007. https://doi.org/10.1596/978-0-8213-6890-9.
Côte d'Ivoire - Ministère de l'environnement et du développement durable (MINEDD). "Contributions déterminées au niveau national (CDN) de la Côte d'Ivoire, mars 2022.
US EPA, OAR. "Greenhouse Gas Equivalencies Calculator". Données et outils, 28 août 2015. https://www.epa.gov/energy/greenhouse-gas-equivalencies-calculator.
Zhu, Rixin, Nina Khanna, Jessica Gordon, Kaifeng Huo, Fan Dai et Jiang Lin. "Réduire les émissions de méthane du secteur des déchets solides : Lessons from California's Experiences". California-China Climate Institute, Université de Californie, Berkeley, mars 2023.