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centrale nucléaire

Les arrêts nucléaires français de 2022 : Leçons pour l'énergie nucléaire en Europe 

24 juillet 2023 Domaine d'activité : technologies nucléaires de pointe

À partir du milieu des années 1970, la France a commencé à déployer des dizaines de grands réacteurs nucléaires à eau légère. En l'espace de 15 ans seulement, l'investissement dans l'énergie nucléaire a conduit à la décarbonisation la plus rapide de l'histoire d'un réseau électrique d'une économie industrialisée, faisant passer la France d'environ 70 % de combustibles fossiles à environ 10 % en 1990, ce qui représente des centaines de millions de tonnes de CO2 évitées. L'énergie nucléaire a fonctionné à plein régime en France pendant près de cinq décennies, fournissant en moyenne environ 75 % de l'électricité du réseau (l'éolien et le solaire fournissant environ 12 % en 2022). Les centrales nucléaires françaises, ainsi que 47 réacteurs dans 12 autres États membres de l'UE, ont joué un rôle important dans la réalisation des objectifs climatiques de l'Europe et dans la garantie de sa sécurité énergétique, en fournissant environ un quart de son électricité totale et environ un tiers de son électricité à faible teneur en carbone.  

Cependant, les contributions nucléaires de la France ont été interrompues en 2022 en raison d'arrêts de maintenance prolongés et de réductions dues aux conditions météorologiques des cours d'eau, ce qui a entraîné une disponibilité nucléaire record en France. À son point le plus bas, la disponibilité nucléaire de la France s'est maintenue à environ 40 % de la capacité maximale pendant environ un mois. Cette baisse a conduit certains critiques à remettre en question la fiabilité de l'énergie nucléaire et son rôle potentiel dans la stratégie de décarbonisation de l'Europe.  

Mais les problèmes rencontrés par la flotte française en 2022 sont-ils le signe de problèmes inévitables liés au déploiement du nucléaire à grande échelle ? Ou s'agit-il d'un cas de négligence situationnelle et d'une opportunité perdue à laquelle il est possible de remédier grâce à une meilleure politique, à quelques corrections techniques et à une plus grande attention de la part des régulateurs et de l'industrie ? Il est important de répondre à ces questions pour évaluer objectivement le rôle que le nucléaire peut jouer dans l'avenir sans carbone de l'Europe.  

Énergie propre et ferme

Cette question est d'autant plus cruciale que de nombreuses études ont conclu que la décarbonisation du secteur de l'électricité, même s'il est dominé par les énergies renouvelables comme l'éolien et le solaire, sera probablement moins coûteuse et plus rapide si nous disposons d'une quantité substantielle de sources d'énergie "propres et fermes", toujours disponibles et non tributaires des conditions météorologiques. Le nucléaire est l'une de ces options fermes et propres au niveau mondial (avec l'énergie géothermique, la combustion d'hydrogène, la biomasse et le gaz fossile avec capture du carbone), et il est déjà bien établi dans le réseau européen, avec des centrales opérationnelles dans 13 des 27 États membres. Et, comme nous l'avons mentionné, le nucléaire fournit déjà environ un quart de l'électricité totale de l'Europe, et environ un tiers de son électricité à faible teneur en carbone.

Outre ses avantages en termes de carbone, l'énergie nucléaire peut réduire l'empreinte spatiale totale d'un système de production d'électricité propre dans une région pauvre en terres comme l'Europe, réduire le besoin de nouvelles lignes de transmission à longue distance et réduire la pression sur les besoins en minerais et en matériaux essentiels. En conséquence, avec des objectifs contraignants et une politique climatique de plus en plus robuste qui s'enracinent dans l'UE, nous constatons un regain d'intérêt pour la production d'énergie nucléaire bien au-delà de la France : L'Espagne, la Finlande et la Suède ont toutes annoncé des projets d'augmentation de la capacité de leurs centrales existantes, tandis que la Roumanie, la Pologne et les Pays-Bas ont annoncé des projets de construction de nouvelles centrales nucléaires.  

Il ne fait aucun doute que l'énergie nucléaire pourrait jouer un rôle précieux, voire central, dans un avenir européen à faible émission de carbone. L'expérience française de 2022 annule-t-elle cette possibilité ? 

Pour répondre à cette question, examinons d'abord les faits. 

L'énergie nucléaire en France en 2022

L'industrie française de l'énergie nucléaire a été confrontée à une série de problèmes qui se chevauchent en 2022. 

  1. De minuscules fissures induites par la corrosion et les contraintes thermiques dans un ensemble de tuyaux du réacteur que la compagnie nucléaire française, EDF, a "francisé" à partir de la conception originale de Westinghouse modifiée par EDF en utilisant une nouvelle géométrie ; ces tuyaux, dans le système d'injection de sécurité et d'évacuation de la chaleur résiduelle, ont été identifiés au cours de contrôles de maintenance de routine. Les fissures, si elles n'avaient pas été corrigées, auraient probablement conduit à des fuites d'eau à l'intérieur de l'enceinte de confinement du réacteur. 
  1. La maintenance programmée de certaines usines qui n'a pu être ni reportée ni exécutée rapidement en raison de la limitation de la main-d'œuvre et des ressources.  
  1. Des températures élevées dans les rivières qui ont entraîné une réduction de la production des réacteurs français encore en activité. 

Examinons ces questions l'une après l'autre. 

Corrosion 

Tout d'abord, il est important de reconnaître que les problèmes de corrosion des conduites ont été identifiés et sont en train d'être résolus en consultation entre EDF et l'autorité de régulation française, avec une disponibilité nucléaire de 70 % atteinte au début de cette année, l'inspection et la réparation complètes devant être achevées d'ici la fin de 2025, conformément à la stratégie d'inspection et de maintenance proposée. Il est également important de reconnaître que, bien que les zones de tuyauterie défectueuses soient situées dans une zone présentant un risque pour la sécurité, des systèmes de sécurité redondants auraient assuré le refroidissement du réacteur même si la tuyauterie défectueuse s'était rompue. Il ne fait aucun doute que le moment était mal choisi, mais ces arrêts peuvent également être considérés comme la preuve que le régime de maintenance et de sûreté de l'énergie nucléaire en France fonctionne. L'idéal aurait été que le mécanisme de corrosion ait été identifié dans le cadre de la modification de la conception du système d'injection de sécurité et d'évacuation de la chaleur résiduelle avant la certification des réacteurs (ou mieux encore, qu'EDF ait respecté la conception standard d'origine), mais l'important est que ces problèmes aient été identifiés et gérés de manière appropriée avant qu'ils ne deviennent des problèmes majeurs.  

Deuxièmement, et en même temps, cet incident met en évidence la nécessité d'une amélioration importante dans la manière dont les futures centrales nucléaires seront livrées. Il est vrai que la lenteur de la résolution du problème de corrosion est en fin de compte un problème de contrôle de la qualité dont EDF porte la responsabilité. Elle peut en effet révéler des problèmes sous-jacents au sein même d'EDF, étant donné que l'entreprise a connu une situation similaire de défaut d'équipement en 2016. Mais il souligne également la nécessité d'une banalisation et d'une normalisation plus poussées dans l'industrie nucléaire. Les centrales nucléaires actuelles, comme celles d'EDF, ressemblent davantage à de grands projets d'infrastructure complexes qu'à des produits fabriqués en série. Cela signifie que lorsque l'équipement doit être mis à jour, cela se fait par le biais d'une personnalisation sur mesure - comme cela a été fait ici - sur des composants parfois complexes et de grande taille - au lieu de remplacer des pièces entières d'équipement prêt à l'emploi. Des réacteurs plus petits, plus simples et standardisés, fabriqués en grande partie dans des usines plutôt que construits sur place, permettront non seulement d'éviter les problèmes liés aux écarts locaux par rapport aux conceptions testées, mais aussi d'effectuer des réparations plus rapides et plus rentables. De tels changements dans le modèle économique du déploiement nucléaire sont également essentiels pour lui permettre d'atteindre le niveau nécessaire pour lutter contre le changement climatique.  

Limitation de la main-d'œuvre résultant de signaux politiques contradictoires 

Une autre cause avancée par EDF et les syndicats français pour expliquer la durée des arrêts de maintenance qui ont suivi l'identification des problèmes de corrosion est la diminution de la capacité de la main-d'œuvre nucléaire en France, provoquée par le soutien hésitant du gouvernement et le manque de clarté de la politique du secteur. Les arrêts initiaux représentaient déjà une lourde charge pour un seul opérateur (EDF), mais les activités de maintenance prévues par la suite - dont beaucoup avaient été retardées ou réduites en 2021 en raison de la pandémie de grippe Covid-19 - se sont avérées trop lourdes pour une industrie nucléaire qui avait vu ses investissements sapés par des années d'absence de soutien de la part des pouvoirs publics.  

En raison des pressions politiques exercées à la suite de l'accident nucléaire de Fukushima provoqué par le tsunami, les dirigeants français se sont retirés de l'énergie nucléaire au cours de deux administrations successives. Le précédent président français, François Hollande, avant les élections présidentielles de 2012, a négocié avec l'un des partis d'opposition français, promettant de fermer certains réacteurs français et de réduire considérablement la part du nucléaire dans le bouquet énergétique. Le président Macron s'est engagé à faire de même au début de son premier mandat, mais avec un calendrier moins agressif. Le président Macron a récemment changé de cap, mais un tel signal négatif prolongé du gouvernement à l'égard d'une industrie ne fait pas qu'entraver les investissements publics et privés dans ladite industrie, il signale également aux ingénieurs, scientifiques et autres en devenir de ne pas poursuivre une carrière dans l'industrie. En effet, les agences de recrutement del'industrie ont suggéré que ces facteurs ont contribué à la pénurie de main-d'œuvre nucléaire dans plusieurs disciplines. Après tout, qui veut rejoindre un domaine en voie de disparition ?  

Bien que le recours croissant aux énergies renouvelables au cours de la dernière décennie ait pu contribuer aux difficultés récentes de la France à construire efficacement de nouveaux réacteurs, l'ancien PDG d'EDF a également souligné que les facteurs liés à la main-d'œuvre mentionnés ci-dessus ont empêché la France de sortir rapidement de cet épisode de maintenance. Si les investissements à long terme nécessaires avaient été réalisés et si une main-d'œuvre spécialisée suffisante avait été disponible, cela aurait pu être le cas. Après tout, EDF a fait venir des centaines de travailleurs supplémentaires du Canada et des États-Unis pour aider à la maintenance.

Aussi malheureuse qu'elle ait été, cette période n'est qu'un bref instantané et n'est pas représentative des décennies de service fiable de l'industrie. Alors qu'elle se situe en queue de peloton parmi les autres pays en termes d'arrêts non planifiés de l'énergie nucléaire, la disponibilité de l'énergie nucléaire en France au cours des trois années précédant 2022 était encore de près de 70 % et a atteint à nouveau ce niveau en janvier 2023. 

Températures élevées des cours d'eau et réduction des débits 

En ce qui concerne les réductions de production dues à l'état des cours d'eau, ces incidents liés aux conditions météorologiques sont une réalité croissante pour toutes les industries énergétiques dans le contexte du changement climatique. Mais il s'agit d'un problème gérable. Il est important de noter qu'il ne s'agit pas non plus d'un problème de fiabilité binaire "disponible/indisponible" : les centrales ont pu continuer à fonctionner en toute sécurité, mais ont été contraintes par la réglementation de réduire leur production pour préserver les écosystèmes fluviaux en aval(la législation française exige de telles réductions lorsque les températures de l'eau atteignent certains seuils ou lorsque les niveaux et les débits des rivières sont faibles). Les centrales hydroélectriques et à combustibles fossiles situées sur les cours d'eau réduisent parfois leur production pour des raisons environnementales similaires.  

Aucune source de production, y compris les énergies renouvelables, n'est à l'abri des variations climatiques saisonnières. L'énergie éolienne dans l'UE, par exemple, a produit moins de la moitié de son maximum annuel au cours de l'été 2022, et il y a parfois plusieurs jours et semaines où la production éolienne est négligeable dans toute la région. Les variations saisonnières de la disponibilité de l'énergie solaire sont également considérables. Si le stockage de l'énergie permet de faire face aux fluctuations quotidiennes de l'énergie éolienne et solaire, les technologies actuelles de stockage ne permettent pas de faire face aux sécheresses éoliennes et solaires pluri-hebdomadaires et saisonnières.  

En revanche, il existe aujourd'hui plusieurs options techniques permettant de réduire ou d'éviter les réductions d'activité des centrales nucléaires pendant les vagues de chaleur, telles que le refroidissement humide indirect ou par recirculation, utilisé dans 42 réacteurs américains, dont celui de Palo Verde dans le désert de l'Arizona. Le refroidissement à sec est également possible, bien qu'il ne soit pas encore utilisé commercialement (le projet Carbon Free Power de Nuscale dans l'Idaho prévoit d'utiliser le refroidissement à sec). Plusieurs réacteurs français ont finalement obtenu des dérogations leur permettant de continuer à fonctionner sans interruption pendant la chaleur estivale, mais d'autres options existent également. 

Une analyse récente a étudié l'impact des vagues de chaleur européennes passées sur la production d'énergie nucléaire et les moyens techniques d'y remédier. Les conclusions sont résumées ci-dessous : 

  • La réduction de l'énergie nucléaire due aux périodes de chaleur extrême a eu pour effet de réduire la production d'énergie nucléaire européenne d'environ 0,1 % depuis l'an 2000. Pour la France en particulier, qui a été le pays le plus touché avec ses nombreuses centrales situées dans les rivières intérieures, le chiffre correspondant est d'environ 0,15 %. 
  • En période de pointe, moins de 5 % de la capacité de production d'électricité nucléaire européenne a été indisponible en raison de réductions au cours des récentes vagues de chaleur. Même en période de pointe, la disponibilité de l'énergie nucléaire a dépassé celle de toutes les autres technologies de production d'électricité à faible émission de carbone en Europe, y compris l'énergie solaire photovoltaïque, l'énergie éolienne et l'hydroélectricité. 
  • Pour résoudre ce problème à court ou moyen terme, il n'est pas forcément nécessaire d'apporter des solutions techniques. Par exemple, le parc nucléaire français fonctionne à un facteur de capacité de 60 % pendant l'été, vague de chaleur ou non, car il est généralement déployé pour varier en fonction de la charge, et la charge est la plus faible en été, de sorte que les arrêts programmés sont fréquents. Les prix de l'électricité sont restés modestes pendant les périodes de réduction (40-60 €/MWh) et la France couvre sa propre demande pendant l'été. Pour compenser la perte de production de ses centrales fluviales les plus vulnérables pendant les périodes de restriction dues à la canicule, la France pourrait augmenter la production du reste de son parc si elle bénéficiait d'incitations économiques. 
  • À plus long terme, il existe des options techniques facilement disponibles pour tous les types de centrales, y compris les centrales nucléaires, afin d'augmenter à la fois les taux d'utilisation et la disponibilité. Ces options seront dictées par des considérations économiques et non par des limites techniques. Les augmentations de coûts associées à ces options sont relativement modestes. 

Le nucléaire n'est peut-être pas totalement insensible aux changements saisonniers, mais il reste une option très fiable et propre. 

Vue d'ensemble 

En bref, les faits suggèrent que l'expérience de la France au cours de l'année et demie écoulée est un épisode isolé, une confluence malencontreuse de défis, plutôt que l'indication d'un problème chronique de l'énergie nucléaire. La disponibilité du parc nucléaire français est remontée à 73 % en janvier 2023, après un creux de 40 % au mois d'août précédent, et le parc devrait produire entre 76 et 84 % de sa moyenne d'ici la fin de l'année 2023. En fin de compte, les difficultés rencontrées peuvent être attribuées à des erreurs d'EDF, à des failles dans le modèle actuel de fourniture de l'énergie nucléaire, à un sous-investissement dans le nucléaire français et à un calendrier très malheureux.  

Le secteur nucléaire français doit tirer les leçons de ces événements et s'améliorer, et les réponses proactives d'EDF et de l'autorité de régulation française suggèrent que c'est ce qu'il fait. Pour l'Europe, les leçons sont tout aussi claires. À long terme, la livraison de centrales nucléaires standardisées et banalisées permettra d'éviter les problèmes d'adaptation locale et de remédiation à forte intensité de main-d'œuvre au profit d'un remplacement modulaire, comme dans le cas de la maintenance des compagnies aériennes. En outre, il existe toute une série de solutions opérationnelles et techniques pour résoudre les problèmes de refroidissement des centrales nucléaires en cas de vagues de chaleur. 

Aucune option énergétique sans carbone n'est exempte de difficultés, et l'énergie nucléaire ne fait pas exception à la règle. Mais l'expérience nucléaire française illustre bien plus de succès que d'échecs. Les événements de 2022 n'y changeront rien. La décarbonisation d'un réseau électrique européen dont la taille pourrait doubler ou tripler d'ici le milieu du siècle nécessitera un portefeuille d'options. L'énergie nucléaire reste un élément très fiable, et probablement indispensable, de ce portefeuille. 

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