Sortir de l'impasse : Transformer les émissions dangereuses en action climatique
Cet article a été publié à l'origine dans Euractiv.
Les progrès en matière de changement climatique sont souvent bloqués par un problème classique d'action collective : si les effets du changement climatique touchent tout le monde, les coûts immédiats sont localisés, ce qui incite les entreprises et les pays à donner la priorité aux gains acquis à court terme plutôt qu'aux effets collectifs à long terme.
Faute d'une coordination et d'une coopération suffisantes, les parties prenantes ne se rendent souvent pas compte qu'en travaillant ensemble, elles pourraient obtenir de meilleurs résultats que si elles travaillaient seules. Ce phénomène s'applique de manière générale à la création d'une dynamique en faveur de l'action climatique, mais il est également évident dans le cas de solutions spécifiques, telles que la lutte contre les émissions de méthane.
Le secteur du pétrole et du gaz doit surmonter les obstacles
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre qui retient 80 fois plus de chaleur que leCO2 sur une période de 20 ans et qui est responsable de près de la moitié de notre réchauffement net à ce jour. Lorsqu'il est libéré, il accélère le réchauffement de la planète, mais lorsqu'il est exploité, ce gaz peut être vendu pour produire de l'électricité et chauffer des habitations.
Pourtant, malgré les avantages économiques, climatiques et énergétiques évidents, le secteur du pétrole et du gaz reste l'un des plus grands émetteurs de méthane au monde, en grande partie à cause d'un problème d'action collective. Pour capter et exploiter ces émissions, les entreprises, les bailleurs de fonds et les pays doivent coopérer. Ils doivent souvent mettre en commun des ressources, partager des infrastructures et faire des investissements à court terme.
Par exemple, les exploitants qui extraient, traitent et vendent du gaz peuvent avoir besoin de fournir aux exploitants pétroliers des champs adjacents l'accès à leurs installations de traitement. Cela peut nécessiter des améliorations de l'infrastructure et des accords contractuels complexes. Dans d'autres cas, la mise en commun du gaz exploité par différentes sociétés dans des champs voisins pourrait rendre un projet potentiel rentable, mais un seul refus pourrait faire dérailler l'effort.
Il va sans dire que cette coopération ne s'est pas concrétisée. Rien que l'année dernière, l'industrie a brûlé à la torche, évacué et laissé échapper dans l'air environ 48 milliards de dollars de méthane, soit plus de 70 % de la consommation totale de gaz de l'Union européenne. Ces émissions dangereuses ne sont pas seulement évitables, elles représentent également une opportunité de ralentir le changement climatique et d'accroître la sécurité énergétique. Cependant, pour exploiter cette opportunité, il faut passer des gains individuels à des solutions coopératives.
Un plan en trois étapes : identifier les projets, concrétiser les financements et tracer les réductions
La résolution de tout problème d'action collective nécessite une coordination, un alignement des incitations et une coopération entre les parties prenantes. Le leadership mondial des champions du méthane, les initiatives multilatérales et les nouvelles réglementations joueront tous un rôle important.
Par exemple, lors de la COP28, l'Union européenne a lancé son initiative "You Collect We Buy" (Vous collectez, nous achetons) qui vise à encourager le captage et la commercialisation du gaz. Cette initiative a récemment été complétée par une "feuille de route du partenariat pour la réduction du méthane" lors de la COP29. Les initiatives de ce type constituent des avancées importantes vers l'harmonisation des ambitions des parties prenantes, mais elles ne produiront des résultats que si elles s'attaquent à l'inertie sous-jacente qui bloque les progrès.
Un nouveau rapport publié sur le site Clean Air Task Force montre comment l'UE pourrait y parvenir dans la pratique en mobilisant l'engagement et la coordination nécessaires pour que les parties prenantes collaborent aux actions requises. La solution repose sur l'élaboration d'un cadre de coopération permettant aux parties prenantes intéressées de créer une dynamique, une confiance et des incitations pour les projets de captage de gaz en trois étapes simples.
Premièrement, les entreprises, les pays, les banques et les marchés des crédits carbone doivent renforcer la confiance dans les projets de capture du gaz et exploiter les données pour lutter contre les perceptions négatives liées au financement des projets de récupération du gaz dans le secteur pétrolier et gazier en amont, en particulier dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire qui manquent de liquidités et où les coûts d'emprunt sont nettement plus élevés.
Cela signifie qu'il faut renforcer la confiance des investisseurs en mettant en évidence les projets réussis, en établissant des garde-fous pour éviter l'enfermement dans les combustibles fossiles et en améliorant les données sur le torchage et les émissions de méthane grâce à des cadres solides de surveillance, de déclaration et de vérification (MRV).
Deuxièmement, les entreprises devraient donner la priorité au développement de projets de récupération du gaz. Pour ce faire, elles doivent créer des incitations internes pour encourager la réduction du méthane, par exemple en plaçant les objectifs de réduction des émissions au même niveau que les objectifs de performance et de sécurité que les gestionnaires d'installations sont tenus d'atteindre.
Alors que les entreprises jonglent inévitablement avec des priorités concurrentes et la pression des actionnaires pour obtenir les meilleurs rendements, la réduction des émissions de méthane doit devenir une priorité absolue, même si elle ne maximise pas les profits. Les autres parties prenantes, y compris les gouvernements, peuvent réduire les coûts nets de ces projets en recourant à des incitations positives et négatives, telles que des pénalités et des allègements fiscaux.
Troisièmement, les parties prenantes doivent mettre au point une approche permettant de suivre les volumes de gaz capturés tout au long de la chaîne d'approvisionnement et de les mettre sur le marché. Les caractéristiques environnementales du gaz réduit et de moindre intensité ont une valeur commerciale, mais pour libérer cette valeur, nous avons besoin d'un marché avec des acheteurs prêts à payer pour du gaz plus propre.
Il est essentiel de créer ce marché et de lier des volumes de gaz spécifiques à leurs caractéristiques environnementales pour favoriser une réduction proactive avant que les futures obligations réglementaires, telles que le règlement de l'UE sur le méthane, ne prennent effet.
Que doit-il se passer ensuite ?
Partout dans le monde, les sociétés sont confrontées à des défis communs et similaires : accélérer l'action climatique, faire progresser l'équité sociale et économique et garantir un accès équitable à une énergie fiable. Bien que ces questions puissent sembler distinctes, leurs solutions sont profondément interconnectées et reposent sur une utilisation plus durable et plus efficace des ressources de notre planète.
Pour parvenir à cet équilibre, il faut résoudre collectivement les problèmes, et dans le secteur des combustibles fossiles, où le gaspillage des ressources accélère dangereusement le réchauffement de la planète, les arguments en faveur de l'action sont on ne peut plus clairs. Les projets de captage de gaz représentent une formidable opportunité à court terme, et la réduction de ces émissions peut ralentir le changement climatique, faire gagner du temps pour des stratégies parallèles de décarbonisation et renforcer la sécurité énergétique mondiale.
Dans le contexte des conflits en cours au Moyen-Orient et en Europe de l'Est, des inquiétudes suscitées par les récentes élections américaines et de l'incertitude qui règne sur les marchés de l'énergie, il n'y a jamais eu de moment plus urgent pour que l'UE et d'autres dirigeants fassent preuve d'audace et d'ambition pour saisir l'occasion de capturer du gaz.
La réduction de ces émissions est l'outil le plus rapide et le moins coûteux dont nous disposons pour ralentir le réchauffement à court terme. Et comme pour les défis climatiques plus larges, le véritable succès dépend de la sortie de l'impasse coûteuse et de la priorité donnée aux résultats collectifs sur les intérêts individuels.